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Le Village des Bobatignolles (autour de la place Félix Lobligeois)

A quelques mètres à peine, la place Félix Lobligeois constitue un prolongement naturel du Bobopark évoqué précédemment[1]. C’est là que commence véritablement le fameux Village des Bobatignolles. Citons entre autres curiosités valant le détour l’excellente boulangerie du coin de la rue -qui propose notamment un délicieux pain au curry et amandes-, les terrasses ensoleillées des divers cafés et restaus, ou encore la vitrine surréaliste du décorateur d’intérieur, qui fait rêver le passant avec ses objets hétéroclites et nous plonge immédiatement dans l’atmosphère du Paysan de Paris, d’Aragon… Ici les oliviers s’enracinent dans l’asphalte, il flotte un parfum du sud, et quand notre regard s’attarde sur la petite église romane de Sainte-Marie-des-Batignolles, on ne sait plus trop si on est en Italie ou en Provence. Oui, pour un peu on se croirait en province[2]. C’est tout cela la place Félix Lobligeois : un petit village encore préservé qui résiste encore –on se croirait dans Astérix et Obélix : « pour combien de temps ? »- à l’envahisseur. Avant la fièvre estivale, quand tout Neuilly débarque en masse avec ses grosses cylindrées pour envahir nos plates-bandes et squatter les terrasses des cafés de la place de l’église, il flotte encore aux Batignolles un peu de magie. Le fleuriste, les brocanteurs, l’antiquaire ont pris possession du trottoir: on vient chiner ici sa part de bonheur. Tandis que quatre heures sonnent et que l’on déballe les goûters, je souris en repensant aux paroles de cette chanson de Carla Bruni : «Tout le monde a de l’enfance qui résonne/ Au fond d’une heure oubliée ». Ce sont précisément ces rêves et cette enfance que l’on prend plaisir à humer. Un parfum d’antan, le goût et la saveur des choses dirait ce cher Proust (« Le goût du Perlimpinpin » disait Barbara http://fr.youtube.com/watch?v=0qdZzecR0ig). Ce n’est pas pour rien qu’une des allées du parc porte son nom : petite, la chanteuse a vécu à quelques rues du square[3]. Une enfance passée à l’ombre des bacs à sable et toboggans dans l’un des derniers villages de la capitale: un quartier où tout le monde se connaît, où on prend la peine de se saluer le matin, où l’on trouve encore des places pour garer sa voiture...

[1] Voir « Les Bobotignolles, parc… à bobos » et « Tournez manège ! (le parc et ses incontournables) »

[2] D’ailleurs, historiquement parlant, Les Batignolles étaient autrefois « une commune rurale indépendante » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Batignolles) : « le village des Batignolles n'est rattaché à Paris qu'en 1860 par un décret de l’empereur Napoléon III. Le rattachement officieux à la capitale, d'un point de vue économique, était cependant plus ancien : l'endroit constituait déjà une terre de prédilection pour les commerçants parisiens qui y bâtissaient leurs résidences secondaires, bien avant l'englobement administratif par Paris. »

[3] Au 6, rue Brochant très exactement.

Tournez manège ! (le parc et ses incontournables)

Le Manège Enchanté

Surplombant la voie ferrée, le manège demeure LE point de ralliement où convergent tous les landaus. C’est sans doute le meilleur endroit pour croiser des familles bobos au grand complet (chien compris). Tout le monde s’agglutine en effet autour de l’attraction centrale : facilement reconnaissable, PapaBobo a des petites lunettes carrées d’intellectuel et Marianne à la main, mais arbore un tee-shirt adolescent (au choix : Mano Negra, Rolling Stones ou Bouddha). Il porte la besace en bandoulière (pour ranger ses clopes, son portable high tech, le biberon de BébéBobo). MamanBobo, elle, est fidèle au petit twin-set Zadig & Voltaire. Très prévisible, elle porte le jean (moulant) ou la jupe longue (gipsy chic) avec des Converses et un foulard en bandeau dans ses cheveux. Juste à côté du manège enchanté, des tables de ping-pong et de baby-foot, des voitures à pédales, des balançoires, quelques bancs romantiques pour les amoureux et surtout LE kiosque à friandises, qui fait aussi café-terrasse, orienté plein sud. Des bambins survoltés batifolent dans tous les sens. Le gang des nourrices (de couleur, forcément… Triste constat, on se croirait période colonialiste) n’est pas en reste non plus : ça papote, ça tchatche, dans tous les accents. Un terrain de pétanque jouxte les bacs à sable. Les joueurs s’apostrophent gaiement. Ces messieurs d’un certain âge mais toujours verts sifflent la demoiselle en jupe qui passe au même moment. Les compliments fusent, on se croirait dans Pagnol tiens. La jeune fille rosit. Des petits vieux et petites vieilles se regroupent pour causer ou jouer aux dames. A l’heure de l’apéro, il n’est pas rare que tout ce joyeux monde se retrouve pour lever son verre.

Le lac miniature

Au centre du parc, la pièce d’eau entourée de bancs est la seconde étape obligée pour les landaus, poussettes, joggers et chiens de sortie. On peut y admirer toutes sortes de canards, des cygnes noirs mélancoliques, et « des pigeons idiots » comme dirait Renaud, l’anti-bobo bobo. Flotte une atmosphère de Mistral Gagnant, une douce nostalgie… Une pancarte a beau rappeler au promeneur qu’il est interdit de nourrir les animaux, ceux-ci se voient copieusement gavés à l’heure du goûter. Au milieu de ce lac miniature, une hideuse sculpture en pierre noire de Volvic, couverte comme il se doit de crottes de pigeons: ce sont les sinistres « Vautours», de Louis Monard (1930), ridicules et incongrus, qu’on jurerait tout droits sortis de Lucky Luke. La statue fait tache dans ce décor gentillet où l’on s’attend à chaque instant à voir surgir les Teletubbies, au milieu des cerisiers japonais en fleurs. Voilà donc le vert Eden, le paradis où les Bobos de David Brooks aiment se perdre ! Deux petits ponts à enjamber. C’est d’un chou ! L’eau ruisselle entre les roches, on aperçoit de temps à autre une carpe ou un poisson rouge qui nage en surface. Les pigeons aussi squattent –berk- le parc, se réfugiant dans les cavités de la paroi rocheuse artificielle pompeusement nommée « la grotte ». Toute proche de la sortie donnant sur la place Félix Lobligeois, un sentier mène à une petite butte au sommet de laquelle trône une verrière. La plupart des bobos l’ignorent, mais sous la terre, se trouve un charnier abritant les défenseurs de la barricade des Batignolles (recyclage des restes de La Commune, un peu comme le Sacré-Cœur).

Les Bobotignolles, parc… à bobos

Littéralement parqué au nord-ouest de la capitale dans son verdoyant square des Batignolles, le bobo du dix-septième est une espèce en voie de disparition : il faut bien le reconnaître, il se fait de plus en plus rare. Menacé par la gauche caviar (branche cousine, mais bien distincte du bobo) et par la bourgeoisie bécébège (toute Burberry chanelisée), le Bobotignollais -qui maintient une dangereuse proximité avec la luxueuse avenue de Villiers, le très snob boulevard Malesherbes, le fief de Sarko et les Champs-Elysées-, se sent de plus en plus oppressé. Son habitat traditionnel se voit grignoté de jour en jour, le contraignant alors à l’exil. Repoussé aux confins de l’avenue de Clichy, ou de la Porte d’Asnières, il continue cependant de résister vaillamment. Il faut se rendre à l’évidence : à l’échelle locale, les Bobotignolles constituent bel et bien l’un des derniers parcs à bobos de l’ouest parisien, un espace de regroupement pour cette ethnie à la survie précaire. Qu’en sera-t-il d’ici quelques années ? Nul ne le sait. Pour le moment, l’ami bobotignollais déambule encore nonchalamment en famille. Un coup d’œil circulaire nous rassure quelque peu: comme l’atteste le troupeau de bébébobos en poussettes (trois roues), le lieu reste propice à la reproduction de cette espèce protégée. Créé en 1862 par Jean-Charles Alphand (secondé par l'ingénieur Jean Darcel, l'architecte Gabriel Davioud et l'horticulteur Jean-Pierre Barillet-Deschamps), le square des Batignolles est un petit havre de paix de 16 615 m², dessiné sur le modèle des jardins à l'anglaise. Cet intéressant microcosme, ce mini Boboland à deux pas du Sarkoland de Neuilly s’avère un fascinant laboratoire d’étude. Pour mieux comprendre les us et coutumes du Bobotignollais, une petite virée dans le parc s’impose donc. La chance est avec nous : en cette période de l’année, les allées regorgent de spécimens. Je m’approche sans faire de bruit, pour ne pas les effrayer...

Qui êtes-vous ?

Paris, 75017, France
bobo boba francesa radicada en el barrio de las Batignolles, Paris