Le Manège Enchanté
Surplombant la voie ferrée, le manège demeure LE point de ralliement où convergent tous les landaus.
C’est sans doute le meilleur endroit pour croiser des familles bobos au grand complet (chien compris). Tout le monde s’agglutine en effet autour de l’attraction centrale : facilement reconnaissable, PapaBobo a des petites lunettes carrées d’intellectuel et Marianne à la main, mais arbore un tee-shirt adolescent (au choix : Mano Negra, Rolling Stones ou Bouddha). Il porte la besace en bandoulière (pour ranger ses clopes, son portable high tech, le biberon de BébéBobo). MamanBobo, elle, est fidèle au petit twin-set Zadig & Voltaire. Très prévisible, elle porte le jean (moulant) ou la jupe longue (gipsy chic) avec des Converses et un foulard en bandeau dans ses cheveux.
Juste à côté du manège enchanté, des tables de ping-pong et de baby-foot, des voitures à pédales, des balançoires, quelques bancs romantiques pour les amoureux et surtout LE kiosque à friandises, qui fait aussi café-terrasse, orienté plein sud. Des bambins survoltés batifolent dans tous les sens. Le gang des nourrices (de couleur, forcément… Triste constat, on se croirait période colonialiste) n’est pas en reste non plus : ça papote, ça tchatche, dans tous les accents.
Un terrain de pétanque jouxte les bacs à sable. Les joueurs s’apostrophent gaiement. Ces messieurs d’un certain âge mais toujours verts sifflent la demoiselle en jupe qui passe au même moment. Les compliments fusent, on se croirait dans Pagnol tiens. La jeune fille rosit.
Des petits vieux et petites vieilles se regroupent pour causer ou jouer aux dames. A l’heure de l’apéro, il n’est pas rare que tout ce joyeux monde se retrouve pour lever son verre.
Le lac miniature
Au centre du parc, la pièce d’eau entourée de bancs est la seconde étape obligée pour les landaus, poussettes, joggers et chiens de sortie.
On peut y admirer toutes sortes de canards, des cygnes noirs mélancoliques, et « des pigeons idiots » comme dirait Renaud, l’anti-bobo bobo. Flotte une atmosphère de Mistral Gagnant, une douce nostalgie…
Une pancarte a beau rappeler au promeneur qu’il est interdit de nourrir les animaux, ceux-ci se voient copieusement gavés à l’heure du goûter.
Au milieu de ce lac miniature, une hideuse sculpture en pierre noire de Volvic, couverte comme il se doit de crottes de pigeons: ce sont les sinistres « Vautours», de Louis Monard (1930), ridicules et incongrus, qu’on jurerait tout droits sortis de Lucky Luke. La statue fait tache dans ce décor gentillet où l’on s’attend à chaque instant à voir surgir les Teletubbies, au milieu des cerisiers japonais en fleurs. Voilà donc le vert Eden, le paradis où les Bobos de David Brooks aiment se perdre !
Deux petits ponts à enjamber. C’est d’un chou ! L’eau ruisselle entre les roches, on aperçoit de temps à autre une carpe ou un poisson rouge qui nage en surface. Les pigeons aussi squattent –berk- le parc, se réfugiant dans les cavités de la paroi rocheuse artificielle pompeusement nommée « la grotte ».
Toute proche de la sortie donnant sur la place Félix Lobligeois, un sentier mène à une petite butte au sommet de laquelle trône une verrière. La plupart des bobos l’ignorent, mais sous la terre, se trouve un charnier abritant les défenseurs de la barricade des Batignolles (recyclage des restes de La Commune, un peu comme le Sacré-Cœur).